Pure Salmon au Verdon : "bombe rose” sur l’estuaire ? Rencontre avec Estuaire2050 qui monte au front

Au Verdon-sur-Mer, un projet de ferme-usine de saumons porté par Pure Salmon soulève de nombreuses interrogations.

Implantée en bordure de l’estuaire de la Gironde, cette installation expérimentale repose sur une technologie encore peu éprouvée. Elle prévoit un captage massif dans les nappes phréatiques, un rejet d’eaux traitées en milieu fragile, et le traitement de déchets salins pour l’instant sans solution claire. Autant d’éléments qui nourrissent la méfiance, dans un territoire déjà confronté aux effets du changement climatique et à la pression foncière.

Face à ce projet jugé hors d’échelle par ses opposants, la mobilisation citoyenne s’organise des deux côtés de l’estuaire. Réunissant habitants, scientifiques, élus et associations locales, le collectif Estuaire2050 défend une autre vision de l’avenir pour la région.

Le Bulletin Bordelais donne la parole à Estuaire2050 :

Pure Salmon au Verdon : "bombe rose” sur l’estuaire ? Rencontre avec Estuaire2050 qui monte au front
©Estuaire2050

Le Bulletin Bordelais : Pourquoi ce projet vous semble-t-il particulièrement dangereux ici, au Verdon-sur-Mer, et pas seulement en théorie ?

Estuaire2050 : Les multiples dangers posés par les usines terrestres de saumons n’ont pour nous rien de théoriques. Ils sont bien réels, comme en témoignent les multiples accidents industriels dans ce secteur :

on peut citer le cas de l’usine d’élevage danoise Atlantic Sapphire, où l’incendie du stock d’oxygène a généré une fuite chimique, polluant les eaux au chlorure ferrique. Nous dénombrons 12 accidents de ce type en seulement 5 ans de développement, ce qui n’a rien d’étonnant au regard de la démesure des projets.

Qu’adviendra-t-il des stocks d’oxygène ou du traitement des rejets lors de la prochaine tempête, quand la parcelle remblayée du Verdon-sur-Mer sera devenue une île coupée de tout accès ? L’implantation de cette usine expérimentale en pleine zone Natura 2000 et au bord de l’estuaire de la Gironde, écosystème déjà fragilisé et abritant plusieurs espèces protégées, est donc totalement inacceptable.

Le Bulletin Bordelais : Vous parlez d’une “bombe rose” : que redoutez-vous le plus concrètement si cette ferme usine de saumons s’installe ?

Estuaire2050 : Le terme de « bombe rose » désigne les ravages écologiques et sociaux causés par l’industrie du saumon : pollution des écosystèmes, émissions de gaz à effet de serre, maltraitances animales, pillage des ressources des pays du Sud et aggravation de la surpêche.

Nos craintes à ce sujet sont donc multiples : outre le risque d’accident industriel, le fonctionnement normal de cette usine est déjà problématique sur plusieurs points.

Tout d’abord, le prélèvement en eau dans une nappe d’eau saumâtre risque de polluer la nappe potable sous-jacente qui alimente tout Bordeaux, et les investigations réalisées à ce sujet n’ont pas été faites dans les règles de l’art comme l’indique le rapport du BRGM.

Pourquoi Pure Salmon se refuse-t-elle à des investigations sérieuses sur le sujet ?

Ensuite, aucune étude approfondie n’est réalisée sur l’état du milieu naturel actuel de l’estuaire de la Gironde dans lequel les eaux traitées seront rejetées, alors même que le projet nécessiterait une station d’épuration équivalente à 100 000 habitants.

Enfin, les polluants issus du traitement de l’eau sont censés partir au méthaniseur, sauf que le seul méthaniseur de la région (Hourtin) n’est pas équipé pour traiter ce type de déchet (les boues salées tuent les bactéries fabriquant le biogaz).

Pure Salmon ne répond jamais à cette interrogation, alors où comptent-ils évacuer leurs boues ?

Le Bulletin Bordelais : L’élevage RAS est présenté comme innovant, maîtrisé et écologique. En quoi estimez-vous que ce discours relève du greenwashing ?

Estuaire2050 : L’industrie du saumon, développée dans les années 80, porte la responsabilité de la quasi-éradication du saumon sauvage, désormais espèce rare et protégée. Après avoir pollué les écosystèmes marins de la Norvège au Chili, l’idée même du développement d’aquaculture intensive terrestre nous apparaît comme une forme de greenwashing, alors que ces élevages terrestres n’ont pas vocation à remplacer les élevages en mer existants. Les différents accidents industriels provoqués par cette industrie sont la preuve que cette maîtrise revendiquée est un fantasme :

l’entreprise Pure Salmon, qui se présente comme un leader mondial du domaine, n’a jamais produit un seul saumon à ce jour.

Il faut pêcher jusqu’à 440 poissons pour nourrir un seul saumon en usine, c’est une catastrophe en termes de surpêche, comme au Sénégal où la raréfaction de la ressource pousse la population vers la misère et l’exode.

Ces déséquilibres écologiques s’étendent jusqu’en Antarctique où le krill (micro-crustacé) est pêché notamment pour colorer la chair des saumons d’élevage : c’est un maillon essentiel de la chaîne alimentaire locale déjà décimée par le réchauffement climatique, dont l’industrie du saumon participe à la surpêche ! D’autre part, la végétalisation de l’alimentation des saumons, basée sur le soja, participe à la déforestation notamment en Amazonie, représente une menace pour la biodiversité, les peuples autochtones et aggrave le réchauffement climatique.

Dans ces conditions, ces affirmations sur l’élevage écologique de saumon en RAS nous semblent donc complètement farfelues.

Peut-on raisonnablement considérer que refroidir l’eau de la Gironde à une température convenable pour un poisson d’Europe du Nord est une innovation écologique ?

Si l’entreprise maîtrise si bien son procédé, comment se fait-il que ses besoins en eau annoncés aient été multipliés par 3 en 3 ans ?
Une véritable innovation écologique consisterait plutôt à cesser cette course à la démesure et aux gros sous pour s’appuyer plutôt sur les cycles naturels, sur le fonctionnement des écosystèmes locaux et sur la mise en place d’installations à taille humaine.

Le Bulletin Bordelais : Comment s’organise votre mobilisation ? Est-ce un combat isolé ou sentez-vous un véritable mouvement citoyen en train d’émerger ?

Estuaire2050 : Le paramètre essentiel dans l’organisation de notre mobilisation est, avant toute chose, la préservation de l’estuaire de la Gironde : nous sommes séparés sur ses deux rives et dans des contextes bien distincts.

Sur la rive droite, nous voyons un véritable mouvement citoyen prendre de l’ampleur : la quasi-totalité des communes côtières ont signé notre motion de rejet à ce projet et nos réunions publiques ont réuni un auditoire totalisant plusieurs centaines de personnes.

Sur la rive gauche, là où est situé le projet d’usine, la situation est plus problématique. La mobilisation a eu du mal à démarrer, entravée dès le départ par le procès en diffamation que Pure Salmon a fait à l’association Eaux Secours Agissons.

Ce procès perdu par Pure Salmon jusqu’en appel, les Médocains n’ayant entendu que la version de Pure Salmon ont fini par s’interroger.

Malheureusement, les réunions publiques sont systématiquement entravées, même sur des terrains privés sous la pression de certains élus locaux, mais l’organisation des militants s’est mise en place avec le collectif médocain La Fraie Sauvage et le tractage sur les deux rives reçoit un bel accueil, visiblement attendu, de la population en quête d’informations complémentaires sur ce projet.

Nous sommes en outre très suivis sur internet, grâce aux réseaux sociaux ainsi que sur notre site web.

Le Bulletin Bordelais : Refuser ce projet, d’accord. Mais que proposez-vous à la place ? Quelle vision portez-vous pour un avenir économique viable dans le Médoc ?

Estuaire2050 : Le problème du Médoc, c’est qu’une grande partie du développement de son territoire ne dépend pas des communes, mais du Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB), dont on apprend subitement qu’il fait partie des sites clé-en-main du gouvernement pour favoriser les investissements étrangers.

La première chose à faire serait donc de retravailler le dispositif « site industriel clé-en-main » de la Macronie, pour lui permettre d’inciter plutôt à la venue d’investisseurs respectueux de l’environnement. Le Médoc devrait privilégier ses atouts avec la construction d’une activité de proximité réaliste et durable pour l’avenir du lieu et de ses habitants.

Installer une usine est une solution à court terme et à double tranchant : est-ce que la vingtaine de passages de camions par jour permettront de préserver l’activité touristique ? Que restera-t-il de l’ostréiculture et des métiers de la mer dans un estuaire pollué ? Qu’en sera-t-il de l’activité économique de Bordeaux quand la nappe d’eau potable sera souillée ? Construction de bateaux low tech pour le transport fluvial, développement d’activités liées à la dépollution des mers et des rivières, par exemple : les activités qui font du sens ne manquent pas !

Le Bulletin Bordelais : Si vous deviez convaincre le Préfet en une seule phrase, qu’auriez-vous envie de lui dire ?

Estuaire2050 : « Monsieur le Préfet, n’écoutez pas le chant de la sirène Pure Salmon qui n’a jamais produit un saumon : ce projet expérimental n’a aucun avenir durable, ni pour l’estuaire, ni pour les habitants des deux rives, ni pour la région. Faites passer le bien-être et la santé de vos concitoyens avant la goinfrerie des transnationales, notre estuaire avant la croissance ! »

Mise à jour du 9 juillet 2025 à 19 h 02

À la suite des déclarations d’Estuaire 2050, Pure Salmon a souhaité apporter des précisions. Sa réponse complète est à retrouver en cliquant ici.

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